Pourquoi les abus managériaux semblent être plus tolérés que les autres formes d’abus dans la société ?

Mintzberg, célèbre professeur de management, a publié sur son blog un article intitulé «#AbusiveBossesToo» dans lequel il met sur le même plan les violences sexistes, racistes et managériales. Pour lui, les violences managériales ne sont pas aussi sévèrement combattues que les autres formes de violence dans la société.  

Mon hypothèse est que la phraséologie managériale n’obstrue pas seulement la capacité de penser, elle peut aussi induire des comportements narcissiques avec des individus incapables de gouverner leur esprit et donc de travailler avec les autres sans violence. Une telle violence est de fait légitimée par l’atteinte des objectifs de l’entreprise, atteinte qui n’est bien sûr qu’une victoire à la Pyrrhus.

Deux mots peuvent illustrer cette dérive d’une phraséologie managériale qui peut engendrer une violence symbolique et la violence tout court : le leadership et le talent.

Le leadership déconnecté du management est devenu un label qu’on décerne à ceux qui ont un pouvoir de décision ou à ceux, par stratégie d’acteur, qu’on propulse sur le devant de la scène managériale auréolée d’une mission bien déterminée. Néanmoins les faits sont têtus. Un leader sans une connaissance du travail réel ne peut fonder son leadership que sur les bons sentiments donc inévitablement sur les mauvais sentiments lorsque les choses ne vont pas dans son sens. La légitimité procédurale que lui confère un tel label peut donc très vite se transformer en arme contre ses équipes avec des mécanismes de violence (harcèlement, pression, emprise…) car pour lui, l’important, c’est l’objectif à atteindre, l’intendance doit suivre, quel que soit le prix à payer.  

Le talent : aujourd’hui, on ne recherche plus des travailleurs ni même des collaborateurs mais des talents. Toute personne réaliste comprendra qu’un tel qualificatif est avant tout un instrument marketing mais gare à ceux qui prennent cela au sérieux.  En effet, paradoxalement, si nous tenons au mot talent, on peut dire que nous ne sommes un talent que dans un collectif car le talent seul est un mythe, la production individuelle de richesse une chimère. Dès lors, lorsque vous vous considérez comme un talent nonobstant le réel, le piège de l’hybris n’est jamais loin. Cet hybris est le terreau pour les comportements déloyaux toujours teintés de violence dans les équipes. Ainsi, du moment où la phraséologie managériale nous fait oublier que le véritable talent, c’est réussir à faire de grandes choses avec les autres, le talentueux par décret a les coudées franches pour asseoir sa légitimité par la force et par la ruse.

La lutte contre la violence dans les organisations doit nécessairement passer par une lutte sans merci contre la phraséologie managériale. L’absence totale de respect pour le langage s’accompagne d’une absence de respect aussi complète pour l’être humain lui-même disait Bouveresse.

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