DRH : l’approche HRBP « m’a tuer » mais c’est peut-être pour mieux renaître !

Les Directions des Ressources Humaines sont souvent de parfaits boucs émissaires et des victimes expiatoires d’un héritage qui les dépassent. Elles sont fréquemment critiquées car, selon les cas, elles peuvent symboliser les échecs d’un certain management ou simplement être tenues responsables, par association, de l’explosion des maux du travail.

Par ailleurs, depuis des années, les donneurs d’ordre, les dirigeants, les trouvent « pas assez business », « trop dans l’administratif », pas assez « aidantes». On leur intime l’ordre de prouver leur valeur ajoutée voire de la calculer.

En réponse à ces critiques, grâce à un consultant américain Dave Ulrich et son best-seller « Human Resource Champions» en 1997 censé poser les bases de cette nouvelle orientation, elles promettent d’être des business partners, des partenaires de confiance pour féconder le business.

Cette injonction à être « business friendly » infuse lentement et sûrement même dans la fonction publique. Cependant, il me semble que cette inclinaison prise par les RH ces dernières années est, paradoxalement, un coup de grâce porté à la fonction RH mais aussi une opportunité extraordinaire pour passer du transformisme à une véritable transformation qui placerait le travail au centre des organisations et de la performance, pour plusieurs raisons :  

1. La différence entre l’approche business partner et la GRH « classique » n’est pas une différence de nature mais de temps : « Faire le lien avec le business », c’est dans le jargon de l’approche business partner : accompagner les directions notamment celles qui sont des centres de « profit » dans la définition de leurs besoins en matière de recrutement, de formation, de compétences, de politique salariale, de management… Cela consiste à huiler les rouages pour que le business « tourne » au mieux. Elle est donc incarnée par des femmes et des hommes capables de résoudre des problèmes de par leurs expertises propres ou en faisant appel aux experts des autres domaines RH (experts et/ou centres d’expertise, services partagés…). Ainsi, à y regarder de très près, il s’agit moins d’un changement radical de la fonction RH que d’une gestion sur-mesure des « ressources humaines » c’est-à-dire au plus près du « théâtre des opérations ». Les procédures ne sont pas fondamentalement simplifiées, elles sont davantage contextualisées. D’ailleurs, malgré ce flirt avec le business, il reste toujours difficile voire impossible de quantifier l’apport de la fonction au business malgré les injonctions des tenants d’une gestion des ressources humaines qui « doit prouver qu’elle rapporte plus qu’elle ne coûte ». Rappelons que le gourou Dave Ulrich, dans son ouvrage, intime l’ordre aux professionnels des RH d’apprendre à transcrire leur travail en performances financières. « Une espérance creuse qui réchauffe les cœurs » dirait un sage, étant donné la matière en question.

2. L’approche business partner tend à « radicaliser » la gestion des « ressources humaines » : A défaut de ne toujours pas savoir calculer le ROI de la fonction RH, une gageure hormis pour les ayatollahs de la quantophrénie, ce qui est certain, c’est qu’avec cette inclinaison « business », elle s’éloigne de la connaissance des conditions du travail réel, producteur de santé et donc de performance à long terme. Arrimée au business, la fonction RH n’a jamais aussi bien porté son nom. Elle fait du « traitement » de la « ressource » en « qualité » et en « quantité » son objectif fondamental pour « rendre service », malgré l’humanisme verbal affiché. D’un rôle d’instructeur à charge et à décharge car assez loin du « théâtre des opérations » pour penser le pire afin de l’écarter ou pour préparer l’avenir, la fonction RH devient un partenaire du business avec comme horizon le business, rien d’autre. L’approche business partner est le révélateur suprême d’une erreur originelle de la fonction ressources humaines consistant à confondre le collectif de travail avec une collection d’individus uniquement liés par la profession. Une telle erreur invisibilise l’essentiel des dynamiques humaines à l’œuvre dans une organisation. Rien d’étonnant donc que les maux du travail prospèrent malgré les rustines et autres innovations langagières pour colmater les brèches.

3. L’approche business partner renforce le déni de la pluridimensionnalité du travail par un taylorisme basé sur l’intelligence de l’instant voire de l’urgence : cette radicalisation de la rationalité instrumentale au plus près du business, toujours par le truchement de dispositifs de gestion (processus, procédures, évaluations individualisées des performances, référentiels métiers etc.) finit non seulement par tarir les viviers de ressources psychologiques et sociales comme dirait Yves Clot, lesquels sont nécessaires à l’action collective durable en détruisant les solidarités de métiers, mais aussi par obstruer les ressorts de la confiance et donc de la coopération. Au désengagement des salariés, s’ajoute la méfiance, voire la défiance, vis-à-vis des entreprises : en 2019, la fondation américaine International Republican Institute a mené une enquête dans 42 pays démocratiques qui montre, qu’en moyenne, seules 41 % des personnes interrogées font confiance aux grandes entreprises (33 % en France). Seuls 11 pays sur les 42 accordent une confiance à hauteur de plus de 50 % aux plus grandes entreprises. Avec une telle défiance des salariés vis-à-vis des entreprises, la capacité de ces dernières à générer une performance durable est questionnée.

La Direction des Ressources Humaines est donc dans une impasse. D’une part, l’institutionnalisation de la gestion des ressources humaines a fini par occasionner ce que Yvan Illich appelait la contre-productivité : en l’espèce, plus on gère les humains comme des ressources, plus on s’éloigne de la connaissance du milieu (organisation) pour soutenir un effort durable de la part des travailleurs dans de bonnes conditions (développement de soi et des autres, puissance d’expansion, participation à une œuvre collective…). A ce propos, les professionnels des ressources humaines sont très réalistes comme on le note dans l’édition 2023 du « baromètre sur les RH au quotidien » qui compare, entre autres, ce que ces professionnels font par la force des choses et ce qu’ils voudraient réellement faire, c’est édifiant! La qualité empêchée n’épargne pas non plus la fonction GRH !

Edition 2023 du « baromètre sur les RH au quotidien » par Tissot éditions et PayFit

D’autre part, plus on s’éloigne du milieu nécessaire au développement soutenable des individus et des collectifs de travail plus le « business » requiert que la fonction RH s’approche des « opérations » alors qu’un tel rapprochement est toujours synonyme d’entropie du milieu car le collectif de travail producteur de performance soutenable et de santé ne se prescrit pas.

Cependant, la DRH n’a pas démérité. Elle fait au mieux ce pourquoi elle a été créée : « gérer les humains comme des ressources » en essayant lorsqu’elle le peut, mettre de « l’humanité » dans les rouages car elle est composée, sauf exception, de professionnels qui veulent bien faire. Cette gestion des ressources humaines même agrémentée « d’humanité » ne sort pas de la trajectoire dessinée par les premiers théoriciens du management (moderne), Taylor aux USA et Fayol en France, deux ingénieurs visiblement plus à l’aise avec le monde objectif qu’avec le monde social et subjectif (surtout Taylor) c’est-à-dire ce qui fait la complexité du travail. D’ailleurs Dave Ulrich, le théoricien de l’approche business partner, dans son ouvrage cité plus haut, a rajouté au déni du réel des anciens, le cynisme des contemporains, en assumant sans fard une certaine philosophie gestionnaire : « HR departments are not designed to provide corporate therapy or as social or health-and-happiness retreats. HR professionals must create the practices that make employees more competitive, not more comfortable » : « Les départements des ressources humaines ne sont pas conçus pour offrir une thérapie d’entreprise, ni pour servir de refuge social ou de refuge de santé et de bonheur. Les professionnels des RH doivent concevoir des pratiques qui rendent les employés plus compétitifs et pas forcément plus confortables ! ». C’est clair, c’est dit !

Aujourd’hui, il faut sortir de cette impasse car encombrée de représentations, la Direction des Ressources Humaines n’accède plus que par accident au travail réel dans les organisations.

Je pense qu’il y a une alternative entre une GRH phagocytée par l’administratif et une GRH fortement entraînée vers un rôle de « politicien » par une approche business partner qui fait que, comme le disait Karl Kraus, ce n’est plus le but qui commande la hâte mais la hâte qui commande le but. C’est pourquoi je propose de placer le travail et le soin à son endroit au cœur de la performance des entreprises et des organisations en général en passant d’une Direction des Ressources Humaines à une Direction du Travail (DT). Ainsi, outre la gestion administrative (entrées, sorties…) et la gestion formelle des relations sociales, la Direction du Travail aurait deux prérogatives centrales :

Instituer le sujet et le collectif de travail en lieu et place de la ressource humaine en réinterrogeant les dispositifs d’accompagnement (recrutement, formation, développement…) et en les amendant à la lumière de ce repositionnement.

Aider à créer les conditions de possibilité de la coopération et s’assurer que cette dernière est effective dans l’espace et dans le temps : la DT doit avoir un rôle de vigie pour alerter et prévenir des risques de dégradation des conditions de la coopération dans tous les compartiments de l’entreprise. Ces risques peuvent être organisationnels, structurels, humains (pratiques managériales) ou bien liés au système d’information.

Néanmoins, soyons clairs, je ne crois ni au bon vieux temps, vous l’aurez compris, ni aux lendemains qui chantent simplement grâce à la « force intrinsèque des idées vraies », les rapports de force, les luttes de pouvoir seront encore bel et bien présents. Je crois simplement à notre capacité de faire du travail, de sa direction, des conditions de sa délibération, un instrument au service du développement personnel des travailleurs et de la performance. Cela exige une réorientation quasi complète de la perspective que les organisations donnent au travail et à l’action collective. Les conséquences seront fondamentales sur la manière de penser l’entreprise, sa trajectoire, ses différentes fonctions, ses principaux dispositifs de gestion des risques, les postures et l’expertise des femmes et des hommes qui doivent accompagner cette transformation etc…

Il est donc bien temps de se rendre compte que le véritable business partner, c’est un travail « qui permet de mieux vivre »  c’est-à-dire un travail dans lequel les travailleurs se reconnaissent malgré les contingences du réel car ils seront plus enclins à donner le meilleur d’eux-mêmes pour contribuer à l’œuvre commune et in fine à la prospérité d’une nation. Au moment où le « travail » n’est plus totalement caché par l’emploi ou le management avec des prises de paroles fortes des pouvoirs publics notamment sur la nécessité de bâtir un « pacte de la vie au travail », les entreprises pourraient facilement tomber dans le « travailwashing » si elle ne changent que les discours et les à-côtés du travail. Les conséquences seraient alors désastreuses en termes d’image et de crédibilité. La Direction du Travail permet d’entériner le nécessaire changement de paradigme et d’ancrer la qualité du travail au centre de la création soutenable de valeur. C’est l’instrument majeur pour animer un pacte nécessaire sur le travail réel qui va au delà d’un simple pacte sur la vie au travail. Il y va du réarmement symbolico-pratique des entreprises pour faire face aux nombreux défis de l’époque (défis sociaux, sociétaux, technologiques, environnementaux…). Saisissons cette chance !

Pour aller plus loin :

« L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier » par Ibrahima FALL, paru en février 2023.

Pourquoi dans les organisations, parler de « sens commun » est préférable à « culture » ? : l’apport de François Sigaut

J’ai toujours trouvé étrange et naïf (voire prétentieux) de vouloir faire de la culture dans les entreprises et les organisations en général un objet de gestion c’est-à-dire quelque chose qu’on peut identifier, isoler, piloter, optimiser… Cela fait partie à mon sens des vœux pieux qui réchauffent les cœurs.

Bien souvent, ce qu’on appelle culture n’est qu’un certain regard sur l’état de l’opinion du moment et dans le meilleur des cas, une partie de l’essentiel de ce qui « fait » une organisation. En effet, dans une organisation humaine, tous les comportements sont « culturels » même ceux qui seraient perçus comme inadaptés à une situation donnée car la culture irrigue tous les aspects de la vie.

C’est pourquoi François Sigaut, dans son ouvrage « Comment Homo dévient faber » paru en 2012 pointe du doigt des limites fondamentales de la notion de culture et tradition(s) : « lorsqu’on parle de culture…on pense surtout à ce qui vaut la peine d’être montré ou conservé, pour des raisons esthétiques ou intellectuelles. Et lorsqu’on parle tradition(s), on met l’accent sur une ancienneté également valorisante, mais qui peut être plus apparente que réelle. Dans les deux cas et qu’on le veuille ou non, on court le risque de prendre la partie pour le tout. Et surtout les multiples emplois qui ont été faits de ces deux termes depuis un siècle ou deux ont accumulé sur eux une masse de connotations diverses, voire contradictoires, dont il est d’autant plus difficile de se garder que nous en avons moins conscience ».

Pour éviter de tomber dans une approche instrumentale, simpliste de la culture comme nous le voyons dans certaines organisations souvent par le truchement de consultants, de chercheurs en management et autres intervenants en entreprises victimes de ce que Karl Kraus appelait à juste titre « l’idéologie de la fonction » c’est à dire « ce qui fait dire aux chasseurs qu’ils sont les amis des animaux », je suis d’accord avec François Sigaut dans sa volonté de parler de « sens commun » en lieu et place de culture.  Voici ce qu’il en dit dans le même ouvrage :

« On parle souvent du sens commun avec un certain dédain, comme de tout ce qui appartient au vulgaire, alors qu’il s’agit du fondement même de la société humaine. Les sociétés animales sont basées sur des relations interindividuelles comme l’attachement, la sexualité, la sympathie, l’utilité etc., relations qu’on doit d’autant moins sous-estimer qu’elles conservent dans les sociétés humaines une importance évidente. Mais si les relations humaines n’étaient faites que de relations de ce genre, on ne voit pas en quoi elles se distingueraient des sociétés animales. Il faut bien qu’il y ait autre chose ». Et dans l’état actuel des connaissances, cette autre chose ne peut être que ce que je propose d’appeler le sens commun : l’ensemble innombrable des expériences ordinaires que nous partageons avec nos semblables, et qui nous permettent de nous entendre avec eux sans mot dire sur la foule de choses qui font l’ordinaire de notre vie commune. Il est vrai, c’est une difficulté, que le sens commun ne comporte pas que cela. Il comporte aussi une quantité de conventions, de fictions et de croyances auxquelles le fait d’être partagées donne presque la même force que les expériences véritables…Un autre aspect du sens commun qui en rend l’étude difficile, c’est le caractère en grande partie tacite ou implicite de ses contenus…qui est fait pour l’essentiel d’évidences invisibles. Il est clair que cette invisibilité fait du sens commun un objet bien particulier, auquel on n’a accès que par des voies indirectes ».

Ainsi l’auteur identifie trois voies pour accéder au sens commun : une première voie qui est celle des « étonnements réciproques », « des malentendus culturels » illustrée par auteurs comme Raymonde Carroll, Philippe d’Iribarne, Théodore Zeldin : elle est une des « origines de l’ethnographie ». Une seconde voie qui est « celle des groupes co-actifs d’ouvriers et ou d’agriculteurs qui sont emmenés à discuter de leurs pratiques mises en causes par les innovations qui leur sont proposées » et enfin une troisième voie qui est celle de l’apprentissage : « ce moment privilégié où les façons de faire (et de faire comme il faut) sont montrés à l’enfant ou à l’apprenti qui doit les acquérir ».

Le sens commun ne se construit que par le partage de l’expérience laquelle engendre la création de « nouveaux liens sociaux, plus stables, plus durables et potentiellement plus nombreuses que ceux qui procèdent de la seule physiologie (attachement, sexualité…) ». Le partage de l’expérience a ainsi deux aspects : d’une part, « une nouvelle sorte de liens sociaux, qui donne au groupement humains une structure dont la stabilité , la solidité et la flexibilité sont inconnues dans le monde animal » et d’autre part « un accroissement de l’efficacité des actions et une diversification des ressources également considérables ». Pour François Sigaut, ce qui fait la synthèse entre ces deux aspects, c’est « le plaisir de la réussite » c’est-à-dire « le plaisir, pour chaque membre, d’exister pour les autres, d’exister comme les autres et pas seulement comme objet, fût-ce comme objet d’affection ».  

Réfléchir en termes de « sens commun » nous fait toucher du doigt ce qui peut échapper à votre vigilance lorsqu’on parle de culture. D’ailleurs, qui serait prétentieux au point de vouloir procéder à l’audit du sens commun d’une entreprise ou de se prendre pour un ethnologue qui connaitrait plus Porter que Lévi-Strauss ?

Nous voyons ainsi avec ce déplacement conceptuel (de culture à sens commun) qu’une transformation réussie dans les organisations dépend moins d’un « audit de la culture » auquel on adjoindrait un hypothétique plan d’actions que la capacité à aider à verbaliser et à partager autant que possible des expériences constitutives du sens commun afin de travailler au maintien du « plaisir de la réussite » malgré les contingences du réel. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je pense que la parole doit être réhabilitée dans les entreprises et les organisations en général et son maniement enseigné dans toute formation en management. En effet, dans des organisations désormais remplies d’images et d’outils, il ne faut pas perdre de vue, comme l’avait bien vu Jacques Ellul que « l’homme ne peut poser la question de la vérité et tenter d’y répondre que par la parole ». Les images et les outils « ne peuvent absolument pas transmettre quoi que ce soit de l’ordre de la vérité ». Elles ne peuvent saisir que des apparences et des formes.

INVITATION

Conférence – Débat sur le travail autour de l’ouvrage : « L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier » d’Ibrahima FALL

Nous sommes heureux de vous convier au débat autour de l’ouvrage qui aura lieu le Jeudi 20 avril de 18h30 à 20h30 dans les locaux de l’INSEEC au 29/31 avenue Claude Vellefaux (Paris X).

Il sera aussi question du lancement d’une initiative inédite « Great work to play ! Le travail réel nous concerne © » pour fédérer les organisations (entreprises privées et organisations publiques), les acteurs (praticiens, consultants, coachs, enseignants-chercheurs …) autour du travail réel.

Le management fut, de tout temps, un des arbres qui cachaient la forêt du travail. Le grand chamboulement occasionné par la crise sanitaire du Covid, les aspirations des travailleurs, l’insoutenabilité de certaines philosophies managériales, une compétition économique de plus en plus forte par le truchement d’innovations technologiques de rupture ont mis en exergue la nécessité de (re)penser le travail pour rendre soutenable l’action collective et par voie de conséquence le management et la performance.

Une fois ces constats faits, plusieurs questions restent en suspens : Quoi faire ? Comment faire ? Quels sont les freins à un travail producteur de santé et de performance ? Avons-nous le corpus de connaissances pour accompagner ces nouvelles transformations ? Peut-on prescrire ces transformations ? Qui pour accompagner ces transformations ? Que faire du passif organisationnel ? Y a-t-il un prix à payer à soigner le travail ? …

INFOS PRATIQUES
Lieu :   INSEEC, 29/31 avenue Claude Vellefaux (Paris X)

Entrée gratuite mais en raison du nombre limité de places, l’inscription est obligatoire à l’adresse:  if@ibrahimafall.com

La notion dite des « bullshit jobs » fut puissamment pensée par un français, bien avant David Graeber !

David Graeber, anthropologue américain disparu en 2020 est crédité de l’invention de la notion de bullshit job ou « job à la con ». Il a développé sa théorie dans un article de 2013 puis dans son fameux ouvrage de 2018. 

Vous serrez peut-être étonnés de savoir que Bernard Charbonneau (1910-1996) a théorisé ces fameux bullshit jobs 40 ans avant Graeber! 

Le sieur n’avait bien sûr pas l’aura de l’américain car il était même très peu connu en France voire inconnu. D’ailleurs, ses premiers livres notamment « Je fus » et « L’Etat », devenus plus tard des classiques dans les milieux autorisés, n’avaient trouvé aucun éditeur dans les années 50, 60. Dans un autre registre, cela me rappelle le refus d’Adidas de sponsoriser un jeune basketteur du nom de Michael Jordan au début de sa carrière, certains cadres de l’entreprise trouvant notamment l’athlète trop petit ! C’est un crime contre l’intuition donc l’esprit ! 

Précurseur de l’écologie politique, Bernard Charbonneau fut malgré son absence (relative) de notoriété, un très grand penseur et ami intime de Jacques Ellul qui disait d’ailleurs lui devoir tout ce qu’il savait! Ce n’est pas rien pour qui connaît l’œuvre de Jacques Ellul.

Ceux qui me lisent ont déjà rencontré Charbonneau dans mes articles ou dans mon dernier ouvrage (l’entreprise contre la connaissance du travail réel ? L’humain d’abord ou le syndrome du sacrifié en premier) car il faisait partie des auteurs d’expression française de la trempe d’un Robert Musil ou d’un Karl Kraus, ceux qui ont pratiqué une analyse micrologique sans concession des faits sociaux.

En 1975, Charbonneau théorisa ce qu’il nomma « l’emploi bidon », autrement dit « bullshit job » dans le patois du commerce mondial, oui cela ne s’invente pas ! D’ailleurs, il ironisait sur le plaisir qu’aurait les économistes qui « font des calculs de rentabilité sur tout », à calculer le « coût de ces emplois bidon, aussi ruineux pour l’économie que pour la nature ».  Pour lui, les emplois bidons et la destruction de l’environnement étaient intrinsèquement liés: une réflexion originale sur l’écologie bien avant le GIEC dans laquelle il égratigne au passage les croyances déjà en gestation ou bien affirmées de son époque (et du nôtre) : la « compétence », le « bonheur », « la valeur travail ». Comme le fera Graeber à la suite de son analyse, il proposa avant lui le revenu de base pour lutter contre les emplois bidons et in fine pour préserver l’environnement ! 

Pour en juger, voici l’extrait d’une chronique qu’il a rédigé pour le compte de La Gueule ouverte n° 51 en avril 1975, le fameux journal écologiste et politique fondé, en novembre 1972, par Pierre Fournier, journaliste à Charlie Hebdo. Il y développe sa pensée sur les emplois bidons, édifiant ! 

« Chaque fois que les petits rigolos qui défendent la nature s’opposent à quelque belle opération de développement, telle qu’autostrade, champ de tir, centrale ou marina nucléaire, c’est finalement à cet argument répliqué qu’ils se heurtent, et il ne leur reste plus qu’à fuir sous les huées du public. La rentabilité, la Production, l’Indépendance nationale c’est déjà du solide mais l’Emploi ! Car il ne s’agit plus seulement de l’Économie ou de la Politique mais des hommes, et sans emploi on n’en est plus un. C’est la vérité que nul ne discute, pas plus le public que le monsieur compétent et compétitif qui travaille à son bonheur…

Pourquoi cette obsession de l’emploi ? Ne serait-elle pas le signe d’une incapacité à en fournir ? Car souvent le mot et le mythe prospèrent là où la réalité se dérobe. En effet le Développement ne peut assurer l’emploi qu’en se développant encore plus, tel le clebs qui court après sa queue. Ceci d’autant plus qu’il accumule en même temps la masse humaine. Il prétend le faire en développant des industries de pointe qui exigent de moins en moins d’emploi parce que de plus en plus concentrées et automatisées, ce travail répétitif et abstrait pouvant tôt ou tard être exécuté par des mécaniques ; le travailleur n’étant plus qu’un chômeur virtuel ou moral. Or l’industrie tend à envahir l’agriculture qui fournit, aujourd’hui encore, une grande partie de l’emploi. Que faire de la masse des paysans chassés par le Marché, la Chimie et la Mécanique ? Peut-il y avoir une solution au problème de l’emploi sans l’emploi agricole qu’exigent la production de nourritures dignes de ce nom et l’entretien d’une terre habitable parce que respectée de ses habitants ?

 Ce vide engendré par le système industriel, celui-ci ne peut le remplir qu’en cultivant l’emploi bidon. Pour mettre fin au chômage des jeunes il prolonge indéfiniment la scolarité, ersatz de prolongation du service militaire ; et il maintient ainsi indéfiniment la jeunesse dans une prison sans barreaux où elle s’emmerde parce qu’elle ne voit pas le sens de ce qu’on lui apprend. Mais il y a aussi la formation professionnelle, qui peut durer au-delà de la trentaine pour le futur cadre ou chômeur intellectuel. Par ailleurs, l’emploi bidon prend la forme du « secteur tertiaire ». Il y a la bureaucratie publique ou privée qui peut indéfiniment s’inventer des emplois puisqu’ils ne servent à rien. Il y a les bureaux d’études qui programment des trous dans les fiches, ou d’autres dans la terre qu’il faut boucher ensuite. Il y a les études de marché, les enquêtes, la publicité, qui font pousser ces tours géantes qui cancérisent le tissu urbain, où, à défaut d’habiter, huit heures par jour l’on s’emploie. Sauf pendant le week-end où l’on va au ski, ce qui fournit des emplois. Car il y a également les diverses industries ou commerces du loisir, qui ne produisent rien que du vent (souffle vivifiant ou empesté selon leur qualité). Ah, j’allais oublier cette vieille industrie du loisir, sans arrêt modernisée, l’art militaire, lui aussi gros consommateur de machines volantes, organisateur de superbes fiestas pour idiots du village, etc., etc. Pour ce qui est de l’emploi utile, paysan, réparateur ou postier, n’espérez rien du système, mais pour l’emploi bidon coûteux et destructeur, comptez sur lui. Puisque, paraît-il, on fait des calculs de rentabilité sur tout, les économistes pourraient s’amuser à établir le coût de ces emplois bidon, aussi ruineux pour l’économie que pour la nature.

Mais on n’y échappe pas, à mon tour me voici au pied du mur : « Que préconisez-vous pour assurer l’emploi ? » En tout cas on n’a pas de mal à imaginer mieux que le système actuel, le pire. Il n’y a probablement pas de solution au problème de l’emploi sans le rétablissement, sous des formes anciennes et nouvelles, d’une agriculture et d’un artisanat local ; le seul intérêt de l’industrie mécanisée étant de nous permettre d’échapper à la corvée, autrement insupportable ou idiote qu’elle nous impose. Il faudra bien qu’un jour la société industrielle se résigne à payer les gens à ne rien faire, pour leur permettre par ailleurs de faire ce qui pour eux a un sens, donc un agrément. Pourquoi, au lieu de faire peser toute la malédiction de la non-activité sur une caste maudite de chômeurs auxquels on verse une allocation de chômage, pourquoi ne pas la verser à l’ensemble de la population nécessiteuse sous forme d’un minimum vital, qui lui permettrait de vivre par ailleurs de ses travaux de jardinage ou de bricolage ? Cet argent, elle l’aurait mérité en remplissant la corvée d’un service social, en faisant un certain temps de travail con en usine ou en bureau. Ainsi, au lieu d’envahir inutilement notre vie sous prétexte d’assurer l’emploi, l’industrie et la technique auraient pour raison d’être le désemploi : la liberté. Contenues dans un ghetto bien défini, sans faire de la vie une énorme machine dressée sur des ruines, elles pourraient être perfectionnées, devenir encore plus efficaces parce que plus concentrées et plus abstraites, donc cantonnées dans un domaine de plus en plus réduit. Peut-être faudrait-il étendre ce genre de distinguo à la science elle-même, en lui interdisant de tout envahir afin de laisser sa place à la connaissance personnelle et populaire. Sinon allez vous faire foutre, et farcissez-vous le cube d’acier et de béton dans le pourrissoir à perte de vue ».

  • L’intégralité de l’article de Bernard Charbonneau sur les emplois bidons est ici :

Un grand merci au site La Grande Mue – Un site dédié à la pensée de Bernard Charbonneau (1910-1996). (wordpress.com) pour la préservation de la mémoire d’un grand penseur.

La triple difficulté du management

Le management est une étrange production de l’esprit car étonnamment, plus on l’étudie, moins il se fait saisir par des outils ou des recettes c’est-à-dire par des décisions préalablement pensées.

La raison de cette étrangeté est à chercher au moins dans trois causes :

  • Plus vous faites du management une spécialisation scientifique, plus vous perdez de vue le sens du tout c’est-à-dire la nécessaire conjonction dans l’action collective du monde physique, du monde subjectif et du monde social. Cependant, sortir d’une telle spécialisation, c’est souvent sortir d’une certaine conception de la science.
  • Plus le management est circonscrit à des techniques, plus on ignore le fonctionnement des êtres humains qui ne sont pas réductibles à des influx techniques. Ainsi, plus on ignore le fonctionnement des êtres humains, plus on s’éloigne d’un management qui permet aux femmes et aux hommes de mieux vivre.
  • Enfin, contrairement aux analogies dont raffolent les penseurs en management, l’organisation n’est ni une machine, les êtres vivants sont concrets dès le début pour reprendre l’expression de Simondon, ni un organisme dont la finalité est dans l’organisme même comme l’avait bien vu Canguilhem. Nos fameuses béquilles mentales (machine, organisme) ne nous apportent pas une aide fondamentale face au réel du travail. 

Le management est donc difficile à pratiquer et à fortiori difficile à enseigner car il n’est pas réductible à un mode d’emploi c’est-à-dire la mise en exécution de simples compétences ou de simples techniques. Ces dernières sont bien sûr nécessaires, mais pour être utilisées à bon escient, elles doivent se fonder sur « l’implexe » c’est-à-dire ce que Paul Valéry appelle la capacité à produire de manière spontanée de la sensibilité (émotions, idées, souvenirs, images, sensations…) : face à une situation donnée, tout ce qui vient à la conscience sans avoir été appelé.

Le management que je considère comme une œuvre de l’esprit se matérialisant dans le réel du travail ressemble sur bon nombre de points à la poésie : on peut enseigner l’histoire de la poésie, les techniques des poètes, les types de poésies… Cependant difficile d’enseigner comment devenir un poète produisant de haute qualité. L’implexe ne se commande pas. On ne peut pas être sensible parce qu’on l’a décidé. C’est pourquoi, tout ce qui augmente l’imagination et la sensibilité augmente nos capacités à faire éclore un management qui permet de mieux vivre. Il va sans dire que la référentialisation du management et l’approche exclusive par les compétences sont des freins à l’expression de l’implexe.

L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? : « l’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier.

L’ouvrage est dorénavant disponible sur le site de l’éditeur, sur Amazon, à la Fnac, sur Cultura… et dans toutes les librairies de proximité.


L’Harmattan 

L’ENTREPRISE CONTRE LA CONNAISSANCE DU TRAVAIL RÉEL ? – « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier, Ibrahima Fall – livre, ebook, epub (editions-harmattan.fr)

AMAZON

 L’entreprise contre la connaissance du travail réel ?: L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier » : Fall, Ibrahima: Amazon.fr: Livres

FNAC

 L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier – broché – Ibrahima Fall – Achat Livre | fnac

Sortie de mon livre « L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? : « l’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier ».

J’ai le plaisir de vous annoncer la parution de mon ouvrage intitulé :
 
L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? : « l’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier.
 
Ce livre est le résultat d’une réflexion chemin faisant par le truchement d’articles et autres prises de parole de quelqu’un ayant la chance d’avoir une expérience plurielle : chercheur en management, créateur d’entreprises, salarié de grandes entreprises, consultant en management.
 
Au fur et à mesure de ce long voyage de plusieurs années qui m’a permis de confronter les perspectives (théorie et pratique, grande et petite entreprise, public et privé, opérationnel et consultant etc..), il m’a semblé évident que le management bien que décrié car trop souvent médiocre n’est que l’arbre qui cache une certaine crise de la connaissance dans les organisations. En effet, alors que les entreprises et les organisations en général doivent faire face comme jamais à des enjeux de civilisation (enjeux politiques, technologiques, écologiques, sociaux, sociétaux…, si toutefois une telle distinction est encore possible dans notre modernité), nous y constatons de plus en plus un effondrement de la pensée du travail qui ne permet pas à ces dernières d’être pleinement et concrètement à la hauteur de ces défis malgré une force technologique sans précédent.

Ce livre n’est donc surtout pas un livre de recettes (inutile voire nocif, hélas, il y en a beaucoup sur le management) ni un livre de méthodes (le monde vivant n’est pas réductible à une méthode). C’est un ouvrage qui, d’une part, donne à voir le travail tel qu’il est dé-pensé dans de nombreuses organisations avec un management paresseux porté à bout de bras par des marchands de sommeil conceptuel ; d’autre part, il dessine, à destination de tous ceux engagés dans l’action dans et pour les organisations (opérateurs, managers, dirigeants, consultants en management, chercheurs en management…) des canevas pour re-penser le travail, les dynamiques de transformation et de changement qui en donnent le rythme, sans idéalisme naïf mais en remettant dans le jeu tout ce qui, malencontreusement (ou pas), a été mis hors-jeu.
 

L’ouvrage est dorénavant disponible sur le site de l’éditeur, sur Amazon, à la Fnac, sur Cultura… et dans toutes les librairies de proximité.
L’Harmattan L’ENTREPRISE CONTRE LA CONNAISSANCE DU TRAVAIL RÉEL ? – « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier, Ibrahima Fall – livre, ebook, epub (editions-harmattan.fr)
AMAZON L’entreprise contre la connaissance du travail réel ?: L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier » : Fall, Ibrahima: Amazon.fr: Livres

FNAC L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier – broché – Ibrahima Fall – Achat Livre | fnac