Le management est une étrange production de l’esprit car étonnamment, plus on l’étudie, moins il se fait saisir par des outils ou des recettes c’est-à-dire par des décisions préalablement pensées.
La raison de cette étrangeté est à chercher au moins dans trois causes :
- Plus vous faites du management une spécialisation scientifique, plus vous perdez de vue le sens du tout c’est-à-dire la nécessaire conjonction dans l’action collective du monde physique, du monde subjectif et du monde social. Cependant, sortir d’une telle spécialisation, c’est souvent sortir d’une certaine conception de la science.
- Plus le management est circonscrit à des techniques, plus on ignore le fonctionnement des êtres humains qui ne sont pas réductibles à des influx techniques. Ainsi, plus on ignore le fonctionnement des êtres humains, plus on s’éloigne d’un management qui permet aux femmes et aux hommes de mieux vivre.
- Enfin, contrairement aux analogies dont raffolent les penseurs en management, l’organisation n’est ni une machine, les êtres vivants sont concrets dès le début pour reprendre l’expression de Simondon, ni un organisme dont la finalité est dans l’organisme même comme l’avait bien vu Canguilhem. Nos fameuses béquilles mentales (machine, organisme) ne nous apportent pas une aide fondamentale face au réel du travail.
Le management est donc difficile à pratiquer et à fortiori difficile à enseigner car il n’est pas réductible à un mode d’emploi c’est-à-dire la mise en exécution de simples compétences ou de simples techniques. Ces dernières sont bien sûr nécessaires, mais pour être utilisées à bon escient, elles doivent se fonder sur « l’implexe » c’est-à-dire ce que Paul Valéry appelle la capacité à produire de manière spontanée de la sensibilité (émotions, idées, souvenirs, images, sensations…) : face à une situation donnée, tout ce qui vient à la conscience sans avoir été appelé.
Le management que je considère comme une œuvre de l’esprit se matérialisant dans le réel du travail ressemble sur bon nombre de points à la poésie : on peut enseigner l’histoire de la poésie, les techniques des poètes, les types de poésies… Cependant difficile d’enseigner comment devenir un poète produisant de haute qualité. L’implexe ne se commande pas. On ne peut pas être sensible parce qu’on l’a décidé. C’est pourquoi, tout ce qui augmente l’imagination et la sensibilité augmente nos capacités à faire éclore un management qui permet de mieux vivre. Il va sans dire que la référentialisation du management et l’approche exclusive par les compétences sont des freins à l’expression de l’implexe.
Très intéressantes idées. On dirait que j’ai ma nouvelle matière à lire très prochainement. Ça donne envie d’en découvrir d’avantage. Votre premier point m’inspire le caractère délicat inhérent à toute entreprise scientifique dans lexercice d’aller retour entre l’analyse et la synthèse. Ce fonctionnement peut être déréglé à deux titres : comme disfonctionnement (non fonctionnement) ou dysfonctionnement (ou mal fonctionnement).
Le second traite renvoie au « simple » problème de l’intelligence (non au sens de sa présence mais quand son absence transparaît dans l’opérationnel). Pour parler un langage tennistique, c’est un compromis, un calibrage entre la subtilité et la puissance en fonction du coup de raquette qu’on souhaite réaliser.
Pour le 3eme, j’ai à l’esprit une phrase qu’un de mes professeurs aimait à répéter à savoir que l’entreprise est un milieu de vie et de vies, si bien que le référent naturel suggéré est biologique avec un champ lexical explicativement plus adapté. On y verra à loeuvre des logiques de croissance, d’évolution, d’expansion, de survie, de besoin, d’intérêt, etc… L’humain y est déployé dans son authenticité culturelle comme nature cultivée, sous « la forme de vie » humaine pour reprendre Wittgenstein. Nous ne sortons pas de la nature et point d’empire dans l’empire, reste à savoir comment gérer au mieux cet amas de désirs distincts pour en obtenir la direction préalable voulue ? C’est investi de cette question que jexplorerai le livre avec la chance qui sait d’y trouver à titre de réponse un point fixe satisfaisant.