Voilà une décision totalement anachronique (voir lien ci-après) : Le concours des écoles d’ingénieurs postbac Puissance Alpha supprime l’épreuve de français jugée « trop anxiogène». Parler, c’est penser! S’exprimer avec les justes mots, c’est savoir nuancer, savoir, comme disait Jacques Bouveresse, voir des abîmes là où sont les lieux communs. Cette propension à vouloir partout éliminer tout ce qui peut paraître « théorique » de notre existence est une vue de l’esprit car ce n’est que faire tabula rasa pour le culte des apparences, de la fausseté donc de la mauvaise théorie. La campagne de dénigrement contre « la théorie » commence à porter l’estocade et à obtenir des victoires réelles et symboliques grâce à une méconnaissance profonde des mécanismes de la pensée. On ne pense pas avec des cailloux mais avec des concepts et des notions. La théorie ne s’oppose pas à la pratique mais elle la suppose. Cette maladie française consistant, pour être dans le vent (c’est à dire pour être estampillé « pragmatique ») à partout traquer la théorie n’est que, dans le meilleur des cas, l’expression d’une confusion morbidifique entre le théorique et le platonique. Le théorique n’est pas platonique. Loin s’en faut. La théorie permet de lever le voile des apparences et de ne pas tarir les sources de la vie partout où sont des mécanismes, des techniques, des outils… Impossible de penser la vie sans prendre en compte la vie et sa complexité. Au moment où l’intelligence artificielle monte en puissance, vouloir de fait la concurrencer en formant des esprits serviles dopés au réalisme le plus grégaire, c’est investir dans la déception car le réaliste de talent disait Maupassant n’est qu’un illusionniste ! Nous travaillons donc assidûment à notre malheur. Construire la capacité à s’orienter dans la pensée et dans l’action c’est à dire l’aptitude à faire des jugements corrects est le premier défi de l’éducation de l’Homme : citoyen, ingénieur, manager, peintre, poète… Ce fut le cas dans le passé, cela le sera encore demain. Auguste Detoeuf, polytechnicien et fondateur l’Alstom doit se retourner dans sa tombe. Non seulement il aimait les mots et en jouait mais il pensait que la culture classique devait être un prérequis pour tout ingénieur : «… l’éducation scientifique doit être le fond même de la formation de l’industriel. Mais elle a besoin d’un correctif, d’un principe équilibrant, que seule peut donner l’éducation classique… La méthode scientifique annule toutes les nuances et crée partout des différences tranchées; la souplesse infinie de la vie lui échappe et, pour celui qui ne connaît qu’elle et qui est dominé par elle, au lieu de se subordonner à cette souplesse, de tâcher de s’y adapter tant bien que mal, elle la veut réduire et figer en formules. Rien n’est plus faux, pratiquement, ni plus dangereux. (Extrait, « pages retrouvées », Page 56) A bon entendeur salut ! Même ceux qui diront que tout cela est bien sûr … très théorique ;-). Les faits eux, sont têtus.