Pourquoi dans les organisations, parler de « sens commun » est préférable à « culture » ? : l’apport de François Sigaut

J’ai toujours trouvé étrange et naïf (voire prétentieux) de vouloir faire de la culture dans les entreprises et les organisations en général un objet de gestion c’est-à-dire quelque chose qu’on peut identifier, isoler, piloter, optimiser… Cela fait partie à mon sens des vœux pieux qui réchauffent les cœurs.

Bien souvent, ce qu’on appelle culture n’est qu’un certain regard sur l’état de l’opinion du moment et dans le meilleur des cas, une partie de l’essentiel de ce qui « fait » une organisation. En effet, dans une organisation humaine, tous les comportements sont « culturels » même ceux qui seraient perçus comme inadaptés à une situation donnée car la culture irrigue tous les aspects de la vie.

C’est pourquoi François Sigaut, dans son ouvrage « Comment Homo dévient faber » paru en 2012 pointe du doigt des limites fondamentales de la notion de culture et tradition(s) : « lorsqu’on parle de culture…on pense surtout à ce qui vaut la peine d’être montré ou conservé, pour des raisons esthétiques ou intellectuelles. Et lorsqu’on parle tradition(s), on met l’accent sur une ancienneté également valorisante, mais qui peut être plus apparente que réelle. Dans les deux cas et qu’on le veuille ou non, on court le risque de prendre la partie pour le tout. Et surtout les multiples emplois qui ont été faits de ces deux termes depuis un siècle ou deux ont accumulé sur eux une masse de connotations diverses, voire contradictoires, dont il est d’autant plus difficile de se garder que nous en avons moins conscience ».

Pour éviter de tomber dans une approche instrumentale, simpliste de la culture comme nous le voyons dans certaines organisations souvent par le truchement de consultants, de chercheurs en management et autres intervenants en entreprises victimes de ce que Karl Kraus appelait à juste titre « l’idéologie de la fonction » c’est à dire « ce qui fait dire aux chasseurs qu’ils sont les amis des animaux », je suis d’accord avec François Sigaut dans sa volonté de parler de « sens commun » en lieu et place de culture.  Voici ce qu’il en dit dans le même ouvrage :

« On parle souvent du sens commun avec un certain dédain, comme de tout ce qui appartient au vulgaire, alors qu’il s’agit du fondement même de la société humaine. Les sociétés animales sont basées sur des relations interindividuelles comme l’attachement, la sexualité, la sympathie, l’utilité etc., relations qu’on doit d’autant moins sous-estimer qu’elles conservent dans les sociétés humaines une importance évidente. Mais si les relations humaines n’étaient faites que de relations de ce genre, on ne voit pas en quoi elles se distingueraient des sociétés animales. Il faut bien qu’il y ait autre chose ». Et dans l’état actuel des connaissances, cette autre chose ne peut être que ce que je propose d’appeler le sens commun : l’ensemble innombrable des expériences ordinaires que nous partageons avec nos semblables, et qui nous permettent de nous entendre avec eux sans mot dire sur la foule de choses qui font l’ordinaire de notre vie commune. Il est vrai, c’est une difficulté, que le sens commun ne comporte pas que cela. Il comporte aussi une quantité de conventions, de fictions et de croyances auxquelles le fait d’être partagées donne presque la même force que les expériences véritables…Un autre aspect du sens commun qui en rend l’étude difficile, c’est le caractère en grande partie tacite ou implicite de ses contenus…qui est fait pour l’essentiel d’évidences invisibles. Il est clair que cette invisibilité fait du sens commun un objet bien particulier, auquel on n’a accès que par des voies indirectes ».

Ainsi l’auteur identifie trois voies pour accéder au sens commun : une première voie qui est celle des « étonnements réciproques », « des malentendus culturels » illustrée par auteurs comme Raymonde Carroll, Philippe d’Iribarne, Théodore Zeldin : elle est une des « origines de l’ethnographie ». Une seconde voie qui est « celle des groupes co-actifs d’ouvriers et ou d’agriculteurs qui sont emmenés à discuter de leurs pratiques mises en causes par les innovations qui leur sont proposées » et enfin une troisième voie qui est celle de l’apprentissage : « ce moment privilégié où les façons de faire (et de faire comme il faut) sont montrés à l’enfant ou à l’apprenti qui doit les acquérir ».

Le sens commun ne se construit que par le partage de l’expérience laquelle engendre la création de « nouveaux liens sociaux, plus stables, plus durables et potentiellement plus nombreuses que ceux qui procèdent de la seule physiologie (attachement, sexualité…) ». Le partage de l’expérience a ainsi deux aspects : d’une part, « une nouvelle sorte de liens sociaux, qui donne au groupement humains une structure dont la stabilité , la solidité et la flexibilité sont inconnues dans le monde animal » et d’autre part « un accroissement de l’efficacité des actions et une diversification des ressources également considérables ». Pour François Sigaut, ce qui fait la synthèse entre ces deux aspects, c’est « le plaisir de la réussite » c’est-à-dire « le plaisir, pour chaque membre, d’exister pour les autres, d’exister comme les autres et pas seulement comme objet, fût-ce comme objet d’affection ».  

Réfléchir en termes de « sens commun » nous fait toucher du doigt ce qui peut échapper à votre vigilance lorsqu’on parle de culture. D’ailleurs, qui serait prétentieux au point de vouloir procéder à l’audit du sens commun d’une entreprise ou de se prendre pour un ethnologue qui connaitrait plus Porter que Lévi-Strauss ?

Nous voyons ainsi avec ce déplacement conceptuel (de culture à sens commun) qu’une transformation réussie dans les organisations dépend moins d’un « audit de la culture » auquel on adjoindrait un hypothétique plan d’actions que la capacité à aider à verbaliser et à partager autant que possible des expériences constitutives du sens commun afin de travailler au maintien du « plaisir de la réussite » malgré les contingences du réel. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je pense que la parole doit être réhabilitée dans les entreprises et les organisations en général et son maniement enseigné dans toute formation en management. En effet, dans des organisations désormais remplies d’images et d’outils, il ne faut pas perdre de vue, comme l’avait bien vu Jacques Ellul que « l’homme ne peut poser la question de la vérité et tenter d’y répondre que par la parole ». Les images et les outils « ne peuvent absolument pas transmettre quoi que ce soit de l’ordre de la vérité ». Elles ne peuvent saisir que des apparences et des formes.

INVITATION

Conférence – Débat sur le travail autour de l’ouvrage : « L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier » d’Ibrahima FALL

Nous sommes heureux de vous convier au débat autour de l’ouvrage qui aura lieu le Jeudi 20 avril de 18h30 à 20h30 dans les locaux de l’INSEEC au 29/31 avenue Claude Vellefaux (Paris X).

Il sera aussi question du lancement d’une initiative inédite « Great work to play ! Le travail réel nous concerne © » pour fédérer les organisations (entreprises privées et organisations publiques), les acteurs (praticiens, consultants, coachs, enseignants-chercheurs …) autour du travail réel.

Le management fut, de tout temps, un des arbres qui cachaient la forêt du travail. Le grand chamboulement occasionné par la crise sanitaire du Covid, les aspirations des travailleurs, l’insoutenabilité de certaines philosophies managériales, une compétition économique de plus en plus forte par le truchement d’innovations technologiques de rupture ont mis en exergue la nécessité de (re)penser le travail pour rendre soutenable l’action collective et par voie de conséquence le management et la performance.

Une fois ces constats faits, plusieurs questions restent en suspens : Quoi faire ? Comment faire ? Quels sont les freins à un travail producteur de santé et de performance ? Avons-nous le corpus de connaissances pour accompagner ces nouvelles transformations ? Peut-on prescrire ces transformations ? Qui pour accompagner ces transformations ? Que faire du passif organisationnel ? Y a-t-il un prix à payer à soigner le travail ? …

INFOS PRATIQUES
Lieu :   INSEEC, 29/31 avenue Claude Vellefaux (Paris X)

Entrée gratuite mais en raison du nombre limité de places, l’inscription est obligatoire à l’adresse:  if@ibrahimafall.com

La notion dite des « bullshit jobs » fut puissamment pensée par un français, bien avant David Graeber !

David Graeber, anthropologue américain disparu en 2020 est crédité de l’invention de la notion de bullshit job ou « job à la con ». Il a développé sa théorie dans un article de 2013 puis dans son fameux ouvrage de 2018. 

Vous serrez peut-être étonnés de savoir que Bernard Charbonneau (1910-1996) a théorisé ces fameux bullshit jobs 40 ans avant Graeber! 

Le sieur n’avait bien sûr pas l’aura de l’américain car il était même très peu connu en France voire inconnu. D’ailleurs, ses premiers livres notamment « Je fus » et « L’Etat », devenus plus tard des classiques dans les milieux autorisés, n’avaient trouvé aucun éditeur dans les années 50, 60. Dans un autre registre, cela me rappelle le refus d’Adidas de sponsoriser un jeune basketteur du nom de Michael Jordan au début de sa carrière, certains cadres de l’entreprise trouvant notamment l’athlète trop petit ! C’est un crime contre l’intuition donc l’esprit ! 

Précurseur de l’écologie politique, Bernard Charbonneau fut malgré son absence (relative) de notoriété, un très grand penseur et ami intime de Jacques Ellul qui disait d’ailleurs lui devoir tout ce qu’il savait! Ce n’est pas rien pour qui connaît l’œuvre de Jacques Ellul.

Ceux qui me lisent ont déjà rencontré Charbonneau dans mes articles ou dans mon dernier ouvrage (l’entreprise contre la connaissance du travail réel ? L’humain d’abord ou le syndrome du sacrifié en premier) car il faisait partie des auteurs d’expression française de la trempe d’un Robert Musil ou d’un Karl Kraus, ceux qui ont pratiqué une analyse micrologique sans concession des faits sociaux.

En 1975, Charbonneau théorisa ce qu’il nomma « l’emploi bidon », autrement dit « bullshit job » dans le patois du commerce mondial, oui cela ne s’invente pas ! D’ailleurs, il ironisait sur le plaisir qu’aurait les économistes qui « font des calculs de rentabilité sur tout », à calculer le « coût de ces emplois bidon, aussi ruineux pour l’économie que pour la nature ».  Pour lui, les emplois bidons et la destruction de l’environnement étaient intrinsèquement liés: une réflexion originale sur l’écologie bien avant le GIEC dans laquelle il égratigne au passage les croyances déjà en gestation ou bien affirmées de son époque (et du nôtre) : la « compétence », le « bonheur », « la valeur travail ». Comme le fera Graeber à la suite de son analyse, il proposa avant lui le revenu de base pour lutter contre les emplois bidons et in fine pour préserver l’environnement ! 

Pour en juger, voici l’extrait d’une chronique qu’il a rédigé pour le compte de La Gueule ouverte n° 51 en avril 1975, le fameux journal écologiste et politique fondé, en novembre 1972, par Pierre Fournier, journaliste à Charlie Hebdo. Il y développe sa pensée sur les emplois bidons, édifiant ! 

« Chaque fois que les petits rigolos qui défendent la nature s’opposent à quelque belle opération de développement, telle qu’autostrade, champ de tir, centrale ou marina nucléaire, c’est finalement à cet argument répliqué qu’ils se heurtent, et il ne leur reste plus qu’à fuir sous les huées du public. La rentabilité, la Production, l’Indépendance nationale c’est déjà du solide mais l’Emploi ! Car il ne s’agit plus seulement de l’Économie ou de la Politique mais des hommes, et sans emploi on n’en est plus un. C’est la vérité que nul ne discute, pas plus le public que le monsieur compétent et compétitif qui travaille à son bonheur…

Pourquoi cette obsession de l’emploi ? Ne serait-elle pas le signe d’une incapacité à en fournir ? Car souvent le mot et le mythe prospèrent là où la réalité se dérobe. En effet le Développement ne peut assurer l’emploi qu’en se développant encore plus, tel le clebs qui court après sa queue. Ceci d’autant plus qu’il accumule en même temps la masse humaine. Il prétend le faire en développant des industries de pointe qui exigent de moins en moins d’emploi parce que de plus en plus concentrées et automatisées, ce travail répétitif et abstrait pouvant tôt ou tard être exécuté par des mécaniques ; le travailleur n’étant plus qu’un chômeur virtuel ou moral. Or l’industrie tend à envahir l’agriculture qui fournit, aujourd’hui encore, une grande partie de l’emploi. Que faire de la masse des paysans chassés par le Marché, la Chimie et la Mécanique ? Peut-il y avoir une solution au problème de l’emploi sans l’emploi agricole qu’exigent la production de nourritures dignes de ce nom et l’entretien d’une terre habitable parce que respectée de ses habitants ?

 Ce vide engendré par le système industriel, celui-ci ne peut le remplir qu’en cultivant l’emploi bidon. Pour mettre fin au chômage des jeunes il prolonge indéfiniment la scolarité, ersatz de prolongation du service militaire ; et il maintient ainsi indéfiniment la jeunesse dans une prison sans barreaux où elle s’emmerde parce qu’elle ne voit pas le sens de ce qu’on lui apprend. Mais il y a aussi la formation professionnelle, qui peut durer au-delà de la trentaine pour le futur cadre ou chômeur intellectuel. Par ailleurs, l’emploi bidon prend la forme du « secteur tertiaire ». Il y a la bureaucratie publique ou privée qui peut indéfiniment s’inventer des emplois puisqu’ils ne servent à rien. Il y a les bureaux d’études qui programment des trous dans les fiches, ou d’autres dans la terre qu’il faut boucher ensuite. Il y a les études de marché, les enquêtes, la publicité, qui font pousser ces tours géantes qui cancérisent le tissu urbain, où, à défaut d’habiter, huit heures par jour l’on s’emploie. Sauf pendant le week-end où l’on va au ski, ce qui fournit des emplois. Car il y a également les diverses industries ou commerces du loisir, qui ne produisent rien que du vent (souffle vivifiant ou empesté selon leur qualité). Ah, j’allais oublier cette vieille industrie du loisir, sans arrêt modernisée, l’art militaire, lui aussi gros consommateur de machines volantes, organisateur de superbes fiestas pour idiots du village, etc., etc. Pour ce qui est de l’emploi utile, paysan, réparateur ou postier, n’espérez rien du système, mais pour l’emploi bidon coûteux et destructeur, comptez sur lui. Puisque, paraît-il, on fait des calculs de rentabilité sur tout, les économistes pourraient s’amuser à établir le coût de ces emplois bidon, aussi ruineux pour l’économie que pour la nature.

Mais on n’y échappe pas, à mon tour me voici au pied du mur : « Que préconisez-vous pour assurer l’emploi ? » En tout cas on n’a pas de mal à imaginer mieux que le système actuel, le pire. Il n’y a probablement pas de solution au problème de l’emploi sans le rétablissement, sous des formes anciennes et nouvelles, d’une agriculture et d’un artisanat local ; le seul intérêt de l’industrie mécanisée étant de nous permettre d’échapper à la corvée, autrement insupportable ou idiote qu’elle nous impose. Il faudra bien qu’un jour la société industrielle se résigne à payer les gens à ne rien faire, pour leur permettre par ailleurs de faire ce qui pour eux a un sens, donc un agrément. Pourquoi, au lieu de faire peser toute la malédiction de la non-activité sur une caste maudite de chômeurs auxquels on verse une allocation de chômage, pourquoi ne pas la verser à l’ensemble de la population nécessiteuse sous forme d’un minimum vital, qui lui permettrait de vivre par ailleurs de ses travaux de jardinage ou de bricolage ? Cet argent, elle l’aurait mérité en remplissant la corvée d’un service social, en faisant un certain temps de travail con en usine ou en bureau. Ainsi, au lieu d’envahir inutilement notre vie sous prétexte d’assurer l’emploi, l’industrie et la technique auraient pour raison d’être le désemploi : la liberté. Contenues dans un ghetto bien défini, sans faire de la vie une énorme machine dressée sur des ruines, elles pourraient être perfectionnées, devenir encore plus efficaces parce que plus concentrées et plus abstraites, donc cantonnées dans un domaine de plus en plus réduit. Peut-être faudrait-il étendre ce genre de distinguo à la science elle-même, en lui interdisant de tout envahir afin de laisser sa place à la connaissance personnelle et populaire. Sinon allez vous faire foutre, et farcissez-vous le cube d’acier et de béton dans le pourrissoir à perte de vue ».

  • L’intégralité de l’article de Bernard Charbonneau sur les emplois bidons est ici :

Un grand merci au site La Grande Mue – Un site dédié à la pensée de Bernard Charbonneau (1910-1996). (wordpress.com) pour la préservation de la mémoire d’un grand penseur.

La triple difficulté du management

Le management est une étrange production de l’esprit car étonnamment, plus on l’étudie, moins il se fait saisir par des outils ou des recettes c’est-à-dire par des décisions préalablement pensées.

La raison de cette étrangeté est à chercher au moins dans trois causes :

  • Plus vous faites du management une spécialisation scientifique, plus vous perdez de vue le sens du tout c’est-à-dire la nécessaire conjonction dans l’action collective du monde physique, du monde subjectif et du monde social. Cependant, sortir d’une telle spécialisation, c’est souvent sortir d’une certaine conception de la science.
  • Plus le management est circonscrit à des techniques, plus on ignore le fonctionnement des êtres humains qui ne sont pas réductibles à des influx techniques. Ainsi, plus on ignore le fonctionnement des êtres humains, plus on s’éloigne d’un management qui permet aux femmes et aux hommes de mieux vivre.
  • Enfin, contrairement aux analogies dont raffolent les penseurs en management, l’organisation n’est ni une machine, les êtres vivants sont concrets dès le début pour reprendre l’expression de Simondon, ni un organisme dont la finalité est dans l’organisme même comme l’avait bien vu Canguilhem. Nos fameuses béquilles mentales (machine, organisme) ne nous apportent pas une aide fondamentale face au réel du travail. 

Le management est donc difficile à pratiquer et à fortiori difficile à enseigner car il n’est pas réductible à un mode d’emploi c’est-à-dire la mise en exécution de simples compétences ou de simples techniques. Ces dernières sont bien sûr nécessaires, mais pour être utilisées à bon escient, elles doivent se fonder sur « l’implexe » c’est-à-dire ce que Paul Valéry appelle la capacité à produire de manière spontanée de la sensibilité (émotions, idées, souvenirs, images, sensations…) : face à une situation donnée, tout ce qui vient à la conscience sans avoir été appelé.

Le management que je considère comme une œuvre de l’esprit se matérialisant dans le réel du travail ressemble sur bon nombre de points à la poésie : on peut enseigner l’histoire de la poésie, les techniques des poètes, les types de poésies… Cependant difficile d’enseigner comment devenir un poète produisant de haute qualité. L’implexe ne se commande pas. On ne peut pas être sensible parce qu’on l’a décidé. C’est pourquoi, tout ce qui augmente l’imagination et la sensibilité augmente nos capacités à faire éclore un management qui permet de mieux vivre. Il va sans dire que la référentialisation du management et l’approche exclusive par les compétences sont des freins à l’expression de l’implexe.

L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? : « l’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier.

L’ouvrage est dorénavant disponible sur le site de l’éditeur, sur Amazon, à la Fnac, sur Cultura… et dans toutes les librairies de proximité.


L’Harmattan 

L’ENTREPRISE CONTRE LA CONNAISSANCE DU TRAVAIL RÉEL ? – « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier, Ibrahima Fall – livre, ebook, epub (editions-harmattan.fr)

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 L’entreprise contre la connaissance du travail réel ?: L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier » : Fall, Ibrahima: Amazon.fr: Livres

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 L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier – broché – Ibrahima Fall – Achat Livre | fnac

Sortie de mon livre « L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? : « l’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier ».

J’ai le plaisir de vous annoncer la parution de mon ouvrage intitulé :
 
L’entreprise contre la connaissance du travail réel ? : « l’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier.
 
Ce livre est le résultat d’une réflexion chemin faisant par le truchement d’articles et autres prises de parole de quelqu’un ayant la chance d’avoir une expérience plurielle : chercheur en management, créateur d’entreprises, salarié de grandes entreprises, consultant en management.
 
Au fur et à mesure de ce long voyage de plusieurs années qui m’a permis de confronter les perspectives (théorie et pratique, grande et petite entreprise, public et privé, opérationnel et consultant etc..), il m’a semblé évident que le management bien que décrié car trop souvent médiocre n’est que l’arbre qui cache une certaine crise de la connaissance dans les organisations. En effet, alors que les entreprises et les organisations en général doivent faire face comme jamais à des enjeux de civilisation (enjeux politiques, technologiques, écologiques, sociaux, sociétaux…, si toutefois une telle distinction est encore possible dans notre modernité), nous y constatons de plus en plus un effondrement de la pensée du travail qui ne permet pas à ces dernières d’être pleinement et concrètement à la hauteur de ces défis malgré une force technologique sans précédent.

Ce livre n’est donc surtout pas un livre de recettes (inutile voire nocif, hélas, il y en a beaucoup sur le management) ni un livre de méthodes (le monde vivant n’est pas réductible à une méthode). C’est un ouvrage qui, d’une part, donne à voir le travail tel qu’il est dé-pensé dans de nombreuses organisations avec un management paresseux porté à bout de bras par des marchands de sommeil conceptuel ; d’autre part, il dessine, à destination de tous ceux engagés dans l’action dans et pour les organisations (opérateurs, managers, dirigeants, consultants en management, chercheurs en management…) des canevas pour re-penser le travail, les dynamiques de transformation et de changement qui en donnent le rythme, sans idéalisme naïf mais en remettant dans le jeu tout ce qui, malencontreusement (ou pas), a été mis hors-jeu.
 

L’ouvrage est dorénavant disponible sur le site de l’éditeur, sur Amazon, à la Fnac, sur Cultura… et dans toutes les librairies de proximité.
L’Harmattan L’ENTREPRISE CONTRE LA CONNAISSANCE DU TRAVAIL RÉEL ? – « L’humain d’abord » ou le syndrome du sacrifié en premier, Ibrahima Fall – livre, ebook, epub (editions-harmattan.fr)
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La micrologie des faits managériaux : enseigner, pratiquer et réformer le management par le réel, au-delà des mots et des modes

Avec la crise du management, au-delà des constats que beaucoup peuvent partager, il faut agir. L’action se heurte néanmoins à un obstacle de taille : la « force intrinsèque des idées vraies » est certes nécessaire pour passer à l’action mais elle n’est pas suffisante. Toute action de transformation du réel dans et en dehors des organisations se heurte aux stratégies des acteurs qui découlent des contraintes et des ressources qui façonnent leur rapport au réel. D’ailleurs Freud pointait déjà la faiblesse de l’intellect, de la raison par rapport à la force des instincts.

Je ne crois donc pas à un « autre management » qui serait le produit d’un « alter management » comme ensemble de pratiques organisées en système malgré les formations en « alter management » qui voient le jour. Les mêmes causes produisent les mêmes effets : penser le management comme un système, c’est inexorablement dériver vers un système de prescriptions qui ne peut contenir le réel (et c’est un euphémisme). Ce qui, volens nolens, aboutit à des dogmes, des clichés et des slogans qui sont in fine contreproductifs.

Comme le disent certains philosophes et historiens au sujet de l’histoire, je pense que le management qui ne dupe pas son monde ne se joue pas au centre (avec des théories générales) mais à la périphérie (au contact du travail réel). Pour le dire autrement, ce ne sont pas les grandes théories qui donnent le la en matière d’action collective ; les petites théories de la vie ordinaire dans les organisations sont d’une importance fondamentale. Je suis d’accord avec Bernard Charbonneau lorsqu’il dit que l’accent mis sur le tout l’est forcément aux dépens des parties. Cela s’applique aussi au management : l’accent mis sur les grandes philosophies gestionnaires, les grandes théories, l’est au dépens des « détails », des « exceptions » qui fondent le vécu des individus et donc leurs actions et du sens qu’ils donnent à ces actions.

C’est pourquoi, pour favoriser l’action en faveur d’un management « qui permet de mieux vivre », les « détails » managériaux doivent être pris au sérieux. En effet, comme l’avait bien vu Paul Valéry, « les petits faits inexpliqués contiennent toujours de quoi renverser toutes les explications des grands faits ». C’est pour cette raison que je pense qu’une micrologie des faits managériaux devrait être au centre des enseignements dans les formations en management. J’entends par fait managérial, toute action ordinaire dans une situation de travail qui implique des femmes et des hommes concourant à la production de biens et/ou de services. La micrologie des faits managériaux est ainsi une analyse des détails constitutifs des faits managériaux des situations de travail.  Ces détails concourent, d’une part, au sens que peuvent donner les acteurs aux situations de travail et, d’autre part, façonnent les impacts et les types d’impact des actions sur l’ensemble des parties prenantes y compris sur l’écosystème dans son ensemble.

La micrologie des faits managériaux repose sur des connaissances dont une grande partie n’est pas issue des sciences de gestion mais sans laquelle toute tentative de compréhension des situations de travail ordinaires est vaine. Il s’agit de connaissances dans les domaines du langage, de l’histoire, de l’analyse de l’activité, de la logique, de l’épistémologie… qui permettent d’analyser et de comprendre les faits ordinaires du travail (dans les situations de travail) afin d’ébranler les certitudes et de nourrir la réflexivité nécessaire pour « obtenir le plus » en « sacrifiant le moins ».

Une telle micrologie des faits managériaux ne se décrète pas, elle doit reposer, dans les formations en management, sur un parcours pédagogique ordonné et permettant :

  • Une connaissance des différentes théories de l’action collective : co-activité, collaboration, coopération… Pour chacune de ces formes d’action collective, l’objectif sera d’en dessiner les contours, les enjeux, les limites, les conditions de possibilité et les illustrer avec des exemples concrets.
  • Une connaissance des enjeux du langage dans l’action collective, de l’analyse logique des propositions dans le discours, de l’analyse de l’activité pour comprendre l’intelligence pratique en œuvre dans la réalisation du travail et qui échappe aux prescriptions, …
  • De penser, d’agir et d’entretenir les collectifs en fonction du sens construit par le truchement des différentes théories de l’action collective et des connaissances sur le langage, sur l’activité, sur la logique etc…

La micrologie des faits managériaux est ainsi une application concrète, au plus près du terrain de la « diplomatie des disciplines » que j’appelle de mes vœux. Ce n’est donc ni une diplomatie « de salon » c’est-à-dire une diplomatie « Ferrero » ni la chimérique « hybridation des disciplines » qui est une impasse logique. C’est une diplomatie concrète qui s’éprouve dans les situations de travail, une diplomatie « du grimpeur » c’est-à-dire une mise en action de « l’esprit de grimpeur » dont parlait Musil : le grimpeur sait plus que n’importe qui d’autre, c’est une question de vie ou de mort, que « le pied le plus sûr est toujours aussi le plus bas placé ». Concernant le travail, partir des faits, c’est le point de départ de toute réflexion qui implique la destinée de femmes et d’hommes dans ce que la vie a de plus banal et d’ordinaire. D’ailleurs Chomsky ne s’y est pas trompé lorsqu’il dit que « les affaires du monde sont banales : rien dans les sciences sociales ou dans l’histoire ou dans je ne sais quoi n’est au-dessus des capacités intellectuelles d’un jeune de quinze ans. Il faut travailler un peu, lire un peu, réfléchir – rien de très profond. […] L’idée qu’il faut posséder des qualifications spéciales pour parler des affaires du monde n’est qu’une escroquerie de plus ». Le message central que fait passer Chomsky dans ces quelques lignes s’applique au management qui n’est qu’une « des affaires banales » mais fondamentales du monde.  Réformer le management nécessite donc de s’arc-bouter aux faits, aux détails qui constituent les faits, de « travailler un peu, lire un peu, réfléchir – rien de très profond » (notons que « travailler peu » pour Chomsky n’est pas « travailler peu » pour le commun des mortels). De tels conseils appliqués au management doivent se matérialiser dans les conditions de possibilité d’une micrologie des faits managériaux au plus près du terrain.

Pour ainsi dire, la réforme du management ne sera pas « télévisée » pour parler comme le romancier et poète Gilbert Scott-Heron, elle ne se fera pas dans les livres, dans les grands discours des sachants ni dans les « posts » plébiscités sur Linkedin mais dans le « terre-terre » du travail réel pour parler comme les argotiers d’aujourd’hui. Elle se fera par le biais d’acteurs (managers, consultants…) engagés dans la vie ordinaire des situations de travail, situations, par essence, diverses, complexes et difficilement modélisables. Pour parler comme Chomsky concernant la politique, il ne doit pas s’agir d’une nouvelle technique « pour faire croire à la population qu’elle ne sait rien, et qu’elle devrait rester en dehors de tout cela et laisser les types intelligents s’occuper de tout. Pour cela, il faut prétendre qu’il s’agit d’une sorte de discipline ésotérique et qu’il faut être docteur es quelque chose pour pouvoir en parler ». En politique comme en management, le concret des situations de vie ou de travail, ce sont de petites théories qui, a minima, complètent ou amendent les grandes théories.

La micrologie des faits managériaux a donc pour ambition de faire éclore un management « d’exception » dans le sens « musilien » du terme à savoir un management qui prend au sérieux les exceptions, le particulier c’est-à-dire ce qui ne se répète pas, qui pourtant existe mais échappe à tout pouvoir prescriptif et interroge les tensions donc l’efficacité d’une action collective. Un tel management « exceptionnel » ne peut advenir sans le souci du détail. Il ne s’agit pas, comme nous venons de le voir, d’un souci du détail pour le détail mais de la prise en compte de tout ce qui peut éclairer l’action collective au contact des contingences du réel.

C’est pour cette raison qu’il n’y aura pas de grand soir de la réforme du management mais simplement des veillées au plus près du travail réel grâce à la micrologie des faits managériaux.