« L’hybridation du travail », concept salvateur ou bombe à retardement ?

S’il y a un concept qui occupe le devant de la scène médiatique (et pas que), c’est bien le concept « d’hybridation du travail ». Avec le Covid et les enjeux du travail à distance, « l’hybridation du travail » s’est « imposée » comme une nécessité pour les entreprises face aux transformations du « travail ». Il est défini comme le bon dosage entre le télétravail et le travail en présentiel (au bureau). L’idée force est de dire que le « travail » ne sera plus jamais comme avant et que les entreprises doivent s’adapter à cette nouvelle donne. En effet, la crise a montré que les travailleurs pouvaient travailler de chez eux et satisfaire leurs obligations. Il y a donc très peu de raisons pour ne pas pérenniser au moins partiellement ce rapport nouveau à l’entreprise d’autant plus qu’il permettrait d’engendrer des économies en termes de coûts de structures pour les entreprises (immobilier notamment). En outre, un nouvel équilibre vie-privée vie professionnelle bénéfique aux travailleurs semble avoir émergé dans bon nombres de cas. « L’hybridation du travail » serait donc, à priori, un deal gagnant pour les entreprises et pour les collaborateurs.

Il manque l’essentiel à ce raisonnement.

1 . Le travail est par définition hybride. Le concept d’hybridation du travail est un pléonasme. En effet, si travailler, c’est couvrir l’espace entre le travail prescrit et le travail réel (Dejours), « on est incapable de délimiter par des critères généralisables la façon dont le travail convoque la personnalité, bien au-delà du temps et du lieu de travail (inséparabilité travail-hors travail). On ne sait pas actuellement mesurer le temps psychique et intellectuel qu’un travailleur consacre à son travail pour acquérir les habiletés et les compétences dont il a besoin afin d’atteindre les objectifs et d’accroître les performances ». Pour parler de manière triviale, on peut travailler en attendant son bus, devant l’école de ses enfants, en faisant ses courses ou même dans sa voiture ou dans son bain. L’erreur est de penser que le travail, c’est le résultat du travail et qu’il peut être situé. Ce qui est en jeu aujourd’hui n’est pas l’hybridation du travail mais d’une part le rapport au présentiel et d’autre part la reconnaissance du travail invisible (enjeu fondamental) qui échappe aux critères quantitatifs de mesure de la performance du travail. Avec ce concept d’hybridation du travail, on retrouve les vieux démons du management et de la gestion des entreprises : les confusions conceptuelles et linguistiques qui débouchent toujours sur le traitement des symptômes en lieu et place des causes profondes.

2. Résumer l’expérience acquise durant la crise du covid au concept (vide) d’hybridation du travail, c’est faire fi de l’appel au secours lancé par bon nombre de collaborateurs. Ceux qui ont tenu « la maison » lors du pic de la crise, ce sont les managers de proximité (cf. la grande étude du sociologue François Dupuy) car ils ont pu, par la force des choses et les exigences du réel, s’affranchir de nombreuses procédures. On leur a fait confiance car il n’y avait pas le choix et ils ont montré qu’ils en étaient dignes. Il ne faut juste pas écouter ce message, il faut l’entendre. Cela nécessite de réellement capitaliser l’expérience acquise durant cette crise hors norme : quel positionnement des managers intermédiaires ? que faire des procédures dont les entreprises ont pu se passer pour résister à la crise ? quels sont les enjeux de pouvoirs s’il fallait pérenniser une telle philosophie gestionnaire ? Comment baisser la pression procédurière ? Que faire des fonctions dont le cœur de métier est la production quotidienne de procédures… ? Avec ces questions, nous sommes bien loin des enjeux limités du savant dosage entre travail à distance et présentiel qui ne va hélas produire qu’une nouvelle salve de procédures.

3. La véritable transformation d’après crise, ce n’est pas « l’hybridation du travail » mais la simplification. Eu égard aux enseignements de la crise mais aussi aux nombreuses études réalisées bien avant la crise, il est nécessaire aujourd’hui de s’accorder sur un passif acceptable qui puisse permettre de sortir de l’illusion de contrôle et permettre aux collaborateurs de ne plus être corsetés par des procédures qui vous disent ce qu’il faut faire, comment il faut le faire et pourquoi il faut le faire. C’est une nécessité si l’entreprise veut réengager les collaborateurs face aux défis technologiques et environnementaux. Les moments difficiles de la crise ont été paradoxalement une parenthèse enchantée fortuite pour les collaborateurs (beaucoup se sont enfin reconnus dans leur travail car ils y pu y mettre leur patte sans être infantilisés par une mauvaise procédure ou un mauvais chef). Cette confiance arrachée a été le moteur de ses femmes et ses hommes.  Cette expérience quasi inédite de la confiance doit être un catalyseur de transformation mais aucunement une nouvelle rampe de transformisme et d’innovations conceptuelles sans lendemain. La complexité des entreprises ne pourra pas être traitée par davantage de procédures mais par davantage de solidarités donc de coopération. Espérons que cette crise nous aura appris à faire confiance à des collaborateurs qui en dehors du travail gèrent ou administrent des situations souvent bien plus complexes qu’en entreprise. Espérons que la sagesse nous permettra de méditer sur ces mots du Cardinal de Retz : « On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance ».

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